CHAPITRE XXIII
Corran se redressa sur sa couchette.
— Qu’est-ce qui vous amène ici, les copains ?
Rhysati s’assit sur le lit.
— Nous avons entendu dire que tu étais consigné dans tes quartiers et que tu risquais la cour martiale. Comment te sens-tu ?
— Ça va, fit le Corellien en haussant les épaules.
Erisi Dlarit chassa une mèche noire de son front.
— Tu n’es pas en colère d’être traité de la sorte après ce que tu as fait ?
Corran hésita un peu. Dès son retour sur le Répit, Wedge l’avait pris à part pour lui annoncer que le général Salm entendait le déférer devant les tribunaux militaires pour insubordination, désobéissance et détournement d’un escadron de bombardiers.
Wedge avait ajouté qu’il pourrait sans doute obtenir l’annulation des accusations, attendu la manière dont les choses avaient tourné à Vladet. Pourtant, il préférait que Corran reste aux arrêts dans ses quartiers, une astuce qui lui donnait la possibilité de garder le problème privé jusqu’à la décision.
— Non, je ne suis pas furieux, dit Corran. Le général Salm n’a pas le choix. Il doit me mettre en accusation. Ce que j’ai fait était stupide et risqué. Sans compter que j’ai mis un de ses escadrons en danger.
Le Twi’lek agita un de ses tentacules.
— C’est exact. La discipline l’exige. Corran aurait pu se faire tuer.
Erisi se pencha en avant, les coudes sur les genoux. Corran eut une vue plongeante sur son décolleté.
— Mais ça n’a pas été le cas…
— Ça n’est pas passé loin. Un des « porchers » a lancé ses torpilles trop tard. Elles ont réussi à se réaligner sur mon signal et elles m’ont suivi quand je m’éloignais du Ravageur : Le programme de louvoiement toujours actif, j’étais bloqué dans un cône de vingt degrés.
— Dans ce cas, comment as-tu… ? demanda Erisi, les sourcils froncés.
— J’ai crié à Whistler « d’arrêter ça ». Je parlais du programme, mais Whistler a déconnecté la balise que les torpilles utilisaient pour me pister. Après avoir perdu leur cible – moi –, elles ont essayé en vain de la retrouver, puis ont explosé.
Rhysati sourit.
— Nous sommes tous contents que ton R2 prenne soin de toi. Je voulais te remercier d’avoir agi comme tu l’as fait. Sans toi, le Ravageur nous aurait massacrés.
— De plus, ajouta Erisi, nous en sommes à notre troisième mission et nous n’avons toujours pas perdu un pilote. Le commandant Antilles nous avait dit que les cinq premières missions seraient meurtrières.
— Erisi, fit remarquer Corran, nous avons quand même perdu un pilote. Et trois autres, moi compris, ont failli mourir sur Talasea. Ne crois pas que nous sommes invulnérables.
— Je le sais. Mais notre bilan est formidable. Si les statistiques veulent dire quelque chose, nous sommes loin d’avoir utilisé notre réserve de chance.
— Parle pour toi, dit Corran avec un clin d’œil. À la Banque de la Chance, je suis largement à découvert !
Nawara désigna la porte de la cabine.
— Un certain nombre de pilotes de bombardiers sont prêts à faire des versements à ta place ! En ce moment, ils payent une tournée générale aux Rogues, au centre de loisirs.
— Et ils félicitent Bror parce qu’il a descendu deux Mirettes au-dessus de Grande Ile.
— Il est le meilleur pilote de cette mission. Je n’ai pas abattu deux ennemis.
Erisi le regarda, perplexe.
— Mais tu as descendu la frégate !
— Non, fit Corran.
— Comment ?
— L’escadron des Protecteurs a descendu la frégate, pas Corran, expliqua Nawara. Ils l’ont fait exploser grâce à Corran, mais ça ne compte pas dans son palmarès.
— Ce n’est pas juste ! Il devrait recevoir au moins une partie du crédit !
— Je m’en remettrai, dit Corran. Allez rejoindre les autres et buvez sur le compte des Défenseurs.
— D’accord, dit Rhysati. Tu viens, Erisi ?
— Je vous suis dans un instant.
Quand les deux autres pilotes furent sortis, Erisi se leva et vint s’asseoir sur le lit de Corran. Elle lui posa une main sur le genou.
L’intimité du geste mit le Corellien mal à l’aise.
— Corran, je voulais te dire… J’ai une dette envers toi qu’il me sera difficile de payer. Quand j’ai su que le Ravageur se trouvait sur notre vecteur de sortie, j’ai compris que je ne m’en tirerais pas. Puis tu es entré en action, et un poids immense a quitté ma poitrine. Je sais que c’est un peu abrupt, mais… Je me sens… très proche de toi désormais.
Elle se pencha davantage vers lui.
— Oui, je comprends mieux que tu l’imagines.
— Tu ressens la même chose ?
— Je l’ai déjà éprouvée. Quand j’étais à la CorSec, j’avais pour partenaire une femme, Iella Wessiri. Un jour, elle m’a sauvé la vie. Un type me tenait en joue. J’étais sûr de mourir. Mais elle l’a descendu.
Après, j’ai cru un moment être amoureux d’elle. Et elle a ressenti la même chose. Avant, nous étions des amis, comme toi et moi.
— Que s’est-il passé ?
Corran ricana.
— L’officier de liaison Impérial nous a convoqués séparément. Nous nous sommes revus deux jours plus tard, convaincus que les sentiments que nous pensions éprouver étaient dus à la tension. Nous en avons ri ensemble. Mais il ne s’est rien passé entre nous. La peur nous avait fait perdre la tête…
— Et c’est une mauvaise chose ?
— Non, Erisi. Mais ce n’est pas une véritable attirance. Et je ne crois pas qu’il serait judicieux pour moi d’avoir une liaison avec un membre de l’unité.
— Nawara et Rhysati ne semblent pas avoir de problème.
— Je sais. Ils se font même du bien l’un à l’autre.
Erisi lui prit la main et embrassa la paume.
— Tu as peut-être raison. Mais je voudrais quand même te demander… Tu n’es pas du tout attiré par moi ?
— Je ne sais pas. Depuis des années, même avant que je quitte la CorSec, ma vie affective a été un peu… erratique.
— Y a-t-il quelqu’un d’autre ? Tu es toujours amoureux de ton ancienne partenaire ?
— Non. Et je n’ai personne dans ma vie.
Erisi réfléchit.
— D’accord. J’accepte tes explications. Mais tu ne sais pas ce que tu rates !
— Je suis si fatigué que je ne pourrais pas t’être d’une grande utilité…
Elle rit et lui posa un baiser sur la bouche.
— Corran, j’apprécie ta façon de ménager ma fierté. (Elle se dirigea vers la porte de la cabine.) Fais de beaux rêves.
Mirax Terrik ouvrit la porte à cet instant.
La fille du contrebandier sourit poliment.
— Désolée, je ne voulais pas vous déranger.
— Je partais, dit Erisi d’une voix glaciale, afin de laisser le lieutenant Horn se reposer. Il est consigné dans ses quartiers. Je doute que les visiteurs civils soient autorisés.
Mirax montra le bloc-notes électronique attaché à son poignet.
— J’ai une permission signée par le commandant. Nous pouvez vérifier auprès de M3 si vous le souhaitez.
Erisi jeta un regard noir à Corran, qui aurait préféré être sous le feu d’un Tie.
— Tout va bien, Erisi. Je ne crois pas que Mlle Terrik restera longtemps. Merci d’être venue me voir.
La pilote quitta la pièce.
— Tous pareils, dit Mirax. Vous ne pensez qu’au sexe !
— Hein ? dit Corran.
La jeune femme lui posa sur les bras la caisse en plastique qu’elle portait, puis se laissa tomber sur le lit d’Ooryl.
— Wedge m’a dit que vous étiez déprimé. J’ai pensé que ça vous ferait peut-être plaisir d’avoir quelques bricoles venant de chez nous. Une offrande de paix, en quelque sorte.
Corran ouvrit la boîte.
Elle contenait des magazines corelliens sur datadisks, deux boîtes de nerf fumé et une bouteille de Whisky Réserve de Whyren.
— Super ! Je n’ai pas vu tant de trucs corelliens depuis deux ans !
— Il y a un ryshcate sous le whisky. J’ai dû utiliser des ingrédients de substitution, mais je crois qu’il n’est pas trop raté.
Corran sortit la pâtisserie traditionnelle, servie lors des anniversaires et des autres festivités.
— Où avez-vous trouvé les noix de vwelliu ?
— Ici et là.
— Ici et là ?
— Oui. Le marché noir des produits corelliens est florissant. Votre maudit droïd de protocole a, ou plutôt avait, deux caisses de whisky. J’ai eu du mal à lui en arracher deux bouteilles ! Ça m’a coûté un booster d’hyperdrive !
Corran leva un sourcil.
— Ce whisky était en la possession de M3 ?
— Oui. J’en ai acheté deux bouteilles et je vous en ai offert une ; l’autre est dans le ryshcate. Vous allez arrêter le droïd pour contrebande ?
— Non, je me contenterai d’un avertissement. Voulez-vous un bout de gâteau ? Vous l’avez fait, il est normal que vous le goûtiez.
— D’accord, à condition que vous trouviez quelque chose à commémorer.
— Être en vie, ça vous convient ?
— Parfait.
Corran coupa un bout de gâteau pour elle et le lui tendit, puis il se servit.
— Comme le veut la tradition, nous partageons ce ryshcate comme nous partageons notre célébration de la vie.
— À la célébration de la vie.
Le gâteau était délicieux. Corran sourit.
— C’est merveilleux !
— Même s’il est fait d’ingrédients de contrebande ?
— Raison de plus. Nous devons détruire les preuves. Je n’aurais pas rêvé mieux comme offrande de paix.
— Quand l’Alliance sera sur le point de prendre Coruscant, j’en ferai un autre pour la garce qui commande l’Empire. Ça pourra peut-être raccourcir la guerre…
— Ce ryshcate aurait transformé Dark Vador en Rebelle, mais je doute qu’il ait un effet sur Cœur de Glace. (Corran montra le gâteau.) Vous êtes sûre de ne pas en vouloir encore ?
— Merci, mais il faut que je retourne sur le Pulsar Dans six heures, je pars en direction du Noyau.
— Seule ? N’est-ce pas dangereux ?
— Je suis tombée une fois dans une embuscade. Les Rogues en ont déjà deux à leur actif. Il est sans doute moins dangereux de voyager sans vous ! Je vous verrai à mon retour.
La porte se referma derrière elle. Corran aurait aimé qu’elle reste, alors que le départ d’Erisi l’avait soulagé. Il n’était pas attiré physiquement par Mirax, malgré sa beauté, en rien inférieure à celle d’Erisi. À cause de leur origine commune, il se sentait avec elle un lien qu’Erisi et lui ne partageraient jamais.
Il se secoua.
— Du calme, Horn. Tu fais une fixation sur elle, comme Erisi sur toi. La fille de Booster Terrik et le fils de Hal Horn peuvent être amis, mais rien de plus.
C’est une contrebandière. Si elle considère que tu ne sers pas ses intérêts, elle te laissera tomber. Il réalisa que ses paroles auraient pu sortir des lèvres de son père.
Il finit le gâteau.
Voilà une meilleure occupation pour ta bouche, mon vieux ! Nous serons amis. Coupés de notre monde natal par l’Empire, ce que nous avons en commun est plus important que nos différences.